Y aura-t-il un pilote pour l’administration 3.0 ?
See on Scoop.it – Baueric – Economie numérique
L’État ne peut plus fermer les yeux sur les innovations technologiques qui bouleversent le quotidien des citoyens. “Face à un monde de plus en plus fluide et mobile, l’administration risque de se heurter à un contre-choc très violent si elle ne revoit pas son fonctionnement”, alerte Tariq Krim. Fondateur de plusieurs start-up françaises à succès (Netvibes, Jolicloud), repéré aux États-Unis pour ses talents d’innovateur et vice-président du Conseil national du numérique (CNN), ce dernier milite pour “une administration forte, compétente, qui réussisse à se moderniser”.
Au début du printemps, il a rendu à l’ancienne ministre déléguée chargée du Numérique, Fleur Pellerin, un rapport qui propose que l’État se dote d’un “Chief Technology Officer” (CTO), sorte d’“architecte” de la transition numérique chargé de faire le choix de technologies communes de travail entre les différents services de l’État et des fonctionnalités minimales qu’elles doivent proposer. “Souvent, les décisionnaires n’ont pas la maîtrise technique et ce sont les sous-traitants qui définissent les choix technologiques et les fonctionnalités”, regrette Tariq Krim. Si le poste de CTO existe déjà dans les administrations britannique et américaine, il se heurte dans l’Hexagone à un obstacle culturel. “Il est difficile, en France, de donner un élément important de pouvoir à quelqu’un”, analyse le vice-président du CNN.
Le rôle du CTO ne serait pourtant pas de tout piloter, mais de faire certains choix pour homogénéiser les usages numériques et pousser les administrations à prendre le virage du numérique. “Il ne s’agit pas de toucher aux missions des ministères, mais à leurs outils, notamment en les rendant interopérables, détaille Tariq Krim, qui insiste aussi sur le nécessaire travail de suivi qui en résulte. On peut aujourd’hui déclarer ses impôts sur Internet, mais qui s’occupe de rendre le service disponible sur des applications mobiles ?” Car l’innovation nécessite de constamment mettre à jour les dispositifs déployés.
La question sous-jacente est aussi celle de la finalité politique des nouvelles technologies, alors que les opportunités offertes par le numérique en termes de simplification du rapport au citoyen semblent occultées. “En un clic, un Français a accès à des services ultrasimples. Dès qu’il s’adresse aux services publics, c’est beaucoup plus complexe”, déplore Tariq Krim, qui veut promouvoir les développeurs dans l’administration. Il milite pour que l’État organise des concours ouverts à tous pour “trouver la meilleure solution innovante à un problème et offre ensuite aux lauréats les moyens de mettre en œuvre leur projet”.
“Les élus doivent comprendre que nous sommes entrés dans une société contributive”, appuie Michel Briand, membre du CNN. Cet ancien élu écologiste de la métropole brestoise qui a développé plusieurs projets numériques en Bretagne a dû faire le tour des cabinets ministériels pour expliquer sa démarche et obtenir des financements. “Il faut former les acteurs publics aux nouvelles pratiques, travailler davantage en réseau et s’appuyer sur les citoyens pour favoriser l’innovation”, souligne-t-il.
Manque de culture de l’innovation
Pour Régis Chatellier, coanimateur du programme “Datact”, qui rassemble acteurs publics et privés autour de projets innovants à partir du partage de données, “les profils doivent se diversifier et ne pas se limiter aux seuls développeurs”. Il s’agit notamment de faire face à un manque de “culture du numérique” dans les administrations. “Les directeurs de systèmes d’information privilégient souvent la sécurité, l’innovation n’entre pas toujours dans leurs préoccupations”, regrette-t-il.
“Un stage en start-up devrait être obligatoire dans le cursus de l’ENA”, estime Tariq Krim, qui attend beaucoup de la nouvelle secrétaire d’État au Numérique, Axelle Lemaire. “Habitués aux organisations pyramidales, les énarques doivent être initiés aux nouveaux modèles de cocréation, d’organisation en étoile, et changer de paradigme”, suggère-t-il.
Aux États-Unis, Barack Obama s’est récemment doté d’une agence spécifique, baptisée “18F”, pour répondre aux défis technologiques de l’administration après le fiasco informatique du site Healthcare.gov, sur lequel les Américains devaient s’inscrire pour bénéficier d’une assurance maladie. Composé de 15 employés des secteurs public et privé, le 18F, cet “incubateur numérique du gouvernement” qui peut être saisi par n’importe quelle agence fédérale, planche actuellement sur un programme informatique permettant aux PME d’accéder aux commandes publiques sur une seule et même plate-forme. Voilà qui pourrait peut-être inspirer l’État français, qui vient lui-même de connaître deux échecs cuisants en la matière avec l’abandon du logiciel Louvois et de l’Opérateur national de paye.
Les recommandations du rapport de Tariq Krim
– Nommer un “Chief Technology Officer” (CTO) pour mener la transition numérique de l’État
– Définir une “feuille de route technologique” pour l’ensemble des opérateurs publics
– Promouvoir les développeurs au sein des administrations
– Revoir les conditions de financement des projets technologiques
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